DES INSTITUTIONS FéDéRALES «NE PRENNENT PAS LEURS OBLIGATIONS LINGUISTIQUES AU SéRIEUX»

Il « reste du pain sur la planche » pour s’assurer que les institutions fédérales respectent les droits linguistiques, a prévenu mardi le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, même si le nombre de plaintes a diminué. Ce dernier présentait en conférence de presse son rapport pour l’année 2023-2024.

Plusieurs « devront redoubler d’ardeur afin de respecter leurs obligations linguistiques », qu’elles « ne prennent pas […] au sérieux » et qu’elles n’ont « pas bien intégrées [à leur] culture », a déclaré M. Théberge. Sans cibler aucune institution fédérale, il a toutefois convenu qu’« année après année, Air Canada reçoit le plus grand nombre de plaintes ». En février dernier, M. Théberge avait également souligné un problème de culture en matière de bilinguisme à la Gendarmerie royale du Canada.

Cette absence de conformité, près d’un an après l’adoption de la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles, s’explique en partie par une méconnaissance des nouvelles obligations, indique M. Théberge, accusant également la nomination de hauts dirigeants « qui ne sont pas en mesure de fonctionner dans les deux langues officielles ».

Selon lui, le Secrétariat du Conseil du Trésor et le ministère du Patrimoine canadien ont un rôle à jouer « en matière de surveillance et de promotion de la partie VII de la Loi », qui porte sur la « progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais ». M. Théberge voudrait d’ailleurs que la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, publie son règlement sur cette section du texte législatif « plus tôt que tard ».

M. Théberge recommande également « à l’ensemble des sous-ministres et administrateurs généraux de la fonction publique fédérale » de mettre en place un « plan pour atteindre la pleine mise en oeuvre » de cette partie du texte de la loi, et ce, d’ici le 31 mai 2025. Il rappelle toutefois que, « même dans l’attente de règlement, les institutions fédérales ont de nouvelles obligations auxquelles elles doivent se conformer ».

Le commissaire recommande par ailleurs à la ministre du Patrimoine canadien de créer d’ici juin 2026 « des indicateurs » pour évaluer l’application de la Loi. La nouvelle version du texte législatif prévoit que le ministère « procède à un examen des dispositions et de l’application de la Loi tous les 10 ans sous l’angle de l’épanouissement des minorités francophones et anglophones et de la protection et de la promotion du français au Canada ».

Dans son budget 2024-2025, présenté en avril, Ottawa a réservé 26 millions de dollars pour « appuyer la mise en oeuvre » de la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Pour la première fois depuis cinq ans, le nombre de plaintes jugées recevables par le Commissariat ne dépasse pas la barre du millier. Mais « une chose est sûre, cette diminution ne signifie pas qu’il faut lever le pied de l’accélérateur », prévient M. Théberge.

Selon lui, cette baisse s’explique surtout par l’absence « d’incident qui a galvanisé » le dépôt de plaintes. En 2021-2022, Raymond Théberge avait jugé recevables plus de 5000 plaintes, « un véritable raz de marée » qu’il associe au « discours unilingue du p.-d.g. d’Air Canada », Michael Rousseau, et à la « nomination de la gouverneure générale, qui est bilingue et qui ne parle pas français », Mary Simon.

Il demeure que les 847 plaintes recevables de 2023-2024, qualifiées de « préoccupantes » par M. Théberge, visent sensiblement les mêmes secteurs qu’à l’habitude et concernent en grande majorité le français. « Il y a un domaine en particulier qui ressort chaque année, c’est le public voyageur », explique-t-il. Les plaintes liées à la langue de travail ont quant à elles augmenté par rapport à l’année dernière. « Il faut que [les institutions fédérales et le secteur du voyage] reconnaissent leurs défis et […] apportent les correctifs nécessaires. »

Une grande partie des plaintes ont été formulées en Ontario (162), particulièrement dans la région de la capitale nationale (216), qui s’étend des deux côtés de la rivière des Outaouais, et 175 plaintes ciblaient le Québec.

La nouvelle législation confère au commissaire le pouvoir d’imposer des sanctions pécuniaires en cas de manquement à la Loi. Mais M. Théberge ne pourra en faire usage qu’une fois que le gouvernement « aura émis un décret […] et adopté un règlement ». Un processus qui pourrait prendre « quelques années ».

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

Lise Denis, Initiative de journalisme local, Le Devoir

2024-05-08T14:09:11Z dg43tfdfdgfd