À NIAGARA FALLS, DES DEMANDEURS D’ASILE RELOCALISéS EN VUE DE LA SAISON TOURISTIQUE

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) poussera plus d’une centaine de demandeurs d’asile logés dans des hôtels de Niagara Falls aux frais du gouvernement vers la porte de sortie, a appris Le Devoir. D’autres seront déplacés dès vendredi dans de nouveaux hébergements de la ville.

Ce relogement dans différents hôtels est récurrent avant le début de la saison touristique, selon des organismes communautaires. Le pasteur Wally Hong, qui vient en aide à de nombreux réfugiés de la ville, soupçonne même que la manoeuvre a été devancée en raison de l’éclipse prévue le 8 avril, qui devrait attirer des milliers de curieux dans la municipalité ontarienne.

« Ce qu’il se passe, c’est que la saison touristique arrive. […] Et il y a autre chose, cette fois, c’est que certains hôtels demandent au gouvernement de voir s’il peut devancer un peu [le relogement des demandeurs d’asile] à cause de l’éclipse, affirme M. Hong. Ce n’est pas nécessairement planifié, mais c’est une pression supplémentaire. » Au moment où ces lignes étaient écrites, les établissements concernés n’avaient pas indiqué leurs motivations au Devoir.

Dans cette ville d’environ 95 000 habitants, le prix des chambres d’hôtel pour la nuit du 7 au 8 avril, jour où l’éclipse sera totale, est passé d’environ une centaine de dollars à plus de 1000 $.

« Les touristes, quand ils viennent à Niagara Falls, ils dépensent. Donc, il y a des retombées économiques », explique Bonaventure Otshudi, le directeur des services aux nouveaux arrivants du Centre de santé communautaire Hamilton/Niagara. « Les demandeurs d’asile ne dépensent pas. […] Ils sont nourris, ils sont hébergés. »

La veille de leur départ, ni les organismes communautaires ni les demandeurs d’asile ne savaient où ces derniers allaient être relogés. Il n’était toutefois pas question qu’ils soient déplacés à l’extérieur de la ville.

Selon nos informations, certains ont été relogés vendredi à seulement deux rues de leur précédent hôtel, mais ils sont passés d’un hébergement 4 étoiles à un hébergement 2 étoiles. Il n’est d’ailleurs désormais plus possible de réserver une chambre dans le second établissement jusqu’à la mi-janvier 2025, ce qui donne un aperçu de la durée du contrat signé avec IRCC.

D’après M. Hong, certains demandeurs d’asile ont fait le choix de quitter les hôtels et de se diriger vers Victoria, Edmonton ou Toronto, « à cause de cette pression de devoir déménager » vendredi. De leur côté, les réfugiés rencontrés par Le Devoir quelques jours avant l’opération ne se souciaient pas vraiment de ce déménagement, accueillant toute option d’hébergement offerte par le gouvernement avec gratitude.

« Ils pourraient m’envoyer à Toronto, ça ne change rien pour moi », dit l’un d’entre eux, que nous citons sous le nom fictif de John pour des raisons de sécurité. « Je ne paye pas pour ça, tu sais, alors […] je suis juste reconnaissant » au gouvernement canadien. Arrivé à l’aéroport Pearson pendant les dernières fêtes de fin d’année, le Bahamien raconte avoir marché toute la nuit dans un « froid glacial », pour se heurter à la porte fermée d’un bureau administratif qu’il pensait être un refuge.

« Je n’avais nulle part où aller, mes mains étaient gelées, alors, je suis retourné à l’aéroport et j’étais prêt à abandonner. » Grâce à l’aide de sa soeur, encore aux Caraïbes, il a finalement trouvé un refuge « bondé », où il est resté pendant un peu plus d’une semaine, avant d’être transféré avec une « cinquantaine » d’autres demandeurs d’asile dans un hôtel de Niagara Falls.

Pour la première fois, IRCC compte par ailleurs évincer 134 demandeurs d’asile à la mi-avril, selon des organisateurs communautaires. Ils devront se trouver, d’ici là, leur propre hébergement.

Logés et nourris aux frais du gouvernement depuis plusieurs mois, ils auraient tous obtenu le statut de « personne protégée », selon ce qu’aurait indiqué Ottawa aux organismes communautaires. Advenant le cas où la recherche de logement serait infructueuse, dans un contexte de flambée des loyers, IRCC n’en viendrait toutefois pas à mettre ces personnes à la rue, croient ces derniers.

Selon Nickensonievzsky Aubourg, un agent du Centre de santé communautaire Hamilton/Niagara qui se déplace dans les hôtels pour conseiller les demandeurs d’asile, la décision d’IRCC est une « bonne chose ». « Ça permettra aux gens de savoir que c’est un abri temporaire, que ce n’est pas à long terme », ce qui pourrait, d’après lui, les encourager à entamer leur recherche d’un appartement plus tôt, mais aussi leur montrer que « le processus d’immigration, ça marche ».

Le Devoir a tenté de s’entretenir avec une agente d’IRCC dont le bureau est situé dans l’enceinte de l’un des quatre hôtels où sont logés les demandeurs d’asile. Nous avons immédiatement été escortée vers la sortie. La veille, une employée administrative d’un autre établissement hôtelier avait menacé de faire intervenir la police si Le Devoir continuait de poser des questions aux réfugiés.

Au moment où ces lignes étaient écrites, les relations médias d’IRCC n’avaient pas répondu à nos questions. De son côté, le maire de Niagara Falls, Jim Diodati, n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue.

En juillet 2022, près de 5500 demandeurs d’asile ont été transférés en Ontario à la demande de Québec, qui souhaitait qu’Ottawa trouve des solutions pour gérer l’afflux d’arrivées par le chemin Roxham. Mais depuis la fermeture de ce point d’entrée, de nombreux demandeurs d’asile ont continué d’arriver sur le territoire canadien, notamment par l’aéroport Pearson, de Toronto, et l’aéroport international Montréal-Trudeau. Selon M. Otshudi, environ 2000 demandeurs d’asile sont aujourd’hui hébergés dans des hôtels de Niagara Falls.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

Lise-Denis, Initiative de journalisme local, Le Devoir

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