À PARIS, ON SE PRéPARE à DéSERTER LA VILLE AVANT LES JO

« Je crois que je vais faire comme tout le monde et quitter Paris. » Aïcha Idrissi avait d’abord pensé profiter des festivités qui accompagneront les Jeux olympiques. Mais les incitations à télétravailler et la peur des embouteillages, des cohues et des attentats ont finalement eu raison d’elle. Comme la moitié des Parisiens, elle ira se réfugier quelque part dans la campagne française, quitte à regarder tout ça à la télévision.

« Mais ce qui m’horripile le plus, ce sont ces travaux qui n’en finissent plus. » Depuis des mois, sous les fenêtres de son cabinet médical de l’avenue Gambetta, les camions et les grues font entendre leur doux bruit. Impossible d’ouvrir les fenêtres. Tout cela pour offrir une vitrine aux 15 millions de visiteurs attendus dans la capitale française à partir du 26 juillet.

Aïcha est loin d’être seule. La moitié des Parisiens s’apprêtent à prendre la poudre d’escampette. Selon un sondage IPSOS Digital, 47 % des habitants de la capitale iront se réfugier en province afin d’« éviter les foules et la hausse des prix attendues ». Mais le taux pourrait encore augmenter, puisqu’au moment de l’enquête, à la mi-mars, 19 % des personnes interrogées n’avaient pas encore pris leur décision. Quelque 26 % des Parisiens ont d’ailleurs décidé d’avancer leurs dates de vacances afin de ne pas être à Paris lors des moments les plus achalandés.

À cinq mois des Jeux, on enregistrait déjà des hausses allant jusqu’à 50 % des réservations sur certaines plateformes proposant le calme du Morbihan, du Val de Loire, de la Corse ou de la Vendée. Dans Le Figaro Magazine, l’écrivain Jonathan Siksou a même imaginé une capitale entièrement désertée par ses habitants, où il faut bloquer les entrées d’autoroute avec des blocs de béton et offrir des primes de « pénibilité du quotidien » pour forcer les Parisiens à rester.

La moitié des Parisiens s’apprêtent donc à désobéir aux exhortations de leur mairesse, qui s’était exclamée : « Ne partez pas cet été. Ne partez pas, ce serait une connerie ! Restez, ça va être absolument incroyable. » Tout un contraste avec cette époque où la mairesse avait fait campagne contre les Olympiques en affirmant que « les Jeux, ça coûte cher […], je crois que ce n’est plus du tout d’actualité ».

Vélo et télétravail

Cet exode serait-il l’effet des gigantesques publicités qui ont été placardées sur les murs des stations de métro depuis des semaines ? On peut y lire que « pour gagner du temps pendant les Jeux, l’important, c’est de télétravailler ! ». Et que le vélo est le « mode de déplacement à privilégier ». Comme l’a répété la présidente du Conseil régional d’Île-de-France, Valérie Pécresse : « Il ne faut pas avoir peur de faire un peu de marche, c’est bon pour la santé. » Une injonction qui a été plutôt mal interprétée par ces milliers de travailleurs moins privilégiés qui, pour se rendre à leur travail, n’ont pas le choix de s’entasser sur des lignes de métro bondées, comme la célèbre ligne 13.

De là à penser que, pendant les Jeux, Paris sera un enfer, il n’y a qu’un pas qu’une majorité de Français ont allègrement franchi. Plus les Jeux approchent, moins les Français s’y disent intéressés. Ils ne sont plus que 53 % à dire qu’ils sont une bonne chose, alors qu’ils étaient 61 % il y a six mois à peine.

La confiance des Français dans la capacité d’organiser une cérémonie d’ouverture à la hauteur de l’événement est aussi en baisse de 14 %. Cette cérémonie qui doit se dérouler tout au long de la Seine, sur six kilomètres, suscite toutes les craintes en matière de sécurité. Cette semaine, pour la première fois, le président Emmanuel Macron a d’ailleurs confirmé publiquement qu’« il y a des plans B et même des plans C ». Ces options incluent la possibilité d’une cérémonie limitée au Trocadéro, ou même dans le Stade de France, comme cela s’est toujours fait.

Réservations en baisse

Les désagréments du trafic et des transports bondés n’ont cependant rien à voir avec ceux des 3000 étudiants qui ont dû quitter manu militari leurs résidences réquisitionnées pour loger des pompiers, des soignants et des policiers. Rien à voir non plus avec la hausse des expulsions de locataires en fin de bail, qui est passée de 19 % en 2022 à 23 % en 2023, puis à 28 % entre septembre et février derniers.

« Un certain nombre de propriétaires se débarrassent de leurs locataires avec pour objectif de louer leur logement sur des plateformes pendant la période des Jeux olympiques », a déclaré Ian Brossat, chargé du logement et de l’hébergement d’urgence à la mairie de Paris.

Parmi les Parisiens qui quitteront la capitale, 13 % en profiteront d’ailleurs pour louer leur appartement sur des plateformes de location temporaire, où l’offre a littéralement explosé. « Avec les JO, Airbnb s’impose comme un leader de l’hébergement touristique à Paris », écrivait dans Le Monde le géographe Victor Piganiol. La multinationale américaine prévoyait atteindre 130 000 annonces d’ici l’été. Est-ce la raison pour laquelle les hôtels ne font toujours pas le plein ? Depuis trois mois, leurs prix ont baissé de 13 %. D’après le cabinet MKG, seulement 64 % des chambres disponibles sont réservées. Plusieurs fédérations sportives et des groupes ont annulé une partie de leurs réservations.

Compte tenu de l’offre pléthorique, les prix sont en baisse partout, même s’ils demeurent toujours plus élevés qu’à l’habitude. Les plus touchés sont les hôtels de catégorie moyenne ou basse, qui s’inquiètent aussi du creux qui pourrait suivre l’événement. Comme si les visiteurs habituels fuyaient la capitale face à l’arrivée de nouveaux touristes. Un phénomène qu’on a aussi connu à Londres en 2012.

Sécurité renforcée

Pour les experts, l’attentat survenu le 22 mars dernier au Crocus City Hall de Moscou n’est pas étranger à cette baisse des réservations. D’autant que la France a déjà été visée par plusieurs tentatives d’attentat de la même branche du groupe djihadiste État islamique. Depuis, le dispositif d’alerte a été relevé à son niveau maximal.

Les désinscriptions toucheraient tout particulièrement les Japonais et les Américains, et il s’agit d’un phénomène que connaissent bien les hôteliers puisqu’il s’est répété chaque fois que la capitale a été victime de terroristes.

Pour parer à toute menace, on a encore élargi le périmètre de sécurité de la cérémonie d’ouverture. Une semaine avant, il faudra montrer un code QR pour s’aventurer à pied, à vélo ou en voiture sur une zone de plusieurs kilomètres carrés couvrant d’est en ouest les berges parisiennes de la Seine. Cela comprend évidemment tous les grands monuments, comme le Louvre et le Trocadéro, ainsi que l’île Saint-Louis et l’île de la Cité. Une quinzaine de stations de métro seront fermées.

Fait absolument exceptionnel : non seulement la Seine sera-t-elle fermée à toute navigation une semaine avant le jour J, mais durant la cérémonie d’ouverture, entre 19 h et minuit, l’espace aérien sera complètement interdit dans un rayon de 150 kilomètres autour de Paris. Tout cela à la veille d’une des plus grosses fins de semaine de départ en vacances. Un dispositif d’alerte a même été prévu pour prévenir en temps réel par texto tous les détenteurs d’un téléphone portable en cas de danger.

Quelque 2000 militaires et policiers viendront prêter main-forte aux 35 000 policiers et gendarmes qui seront en fonction chaque jour. Cela comprend des brigades canines, des motocyclistes, mais aussi des experts en fraudes documentaires et en lutte antidrone. Reste l’immense chantier des agents de sécurité : 9000 manquent encore à l’appel. La même chose s’était produite à Londres, où il avait fallu appeler l’armée au secours à la dernière minute.

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